Discussion réelle avec une stagiaire :
"Tous les matins, je fais le tour des différents services pour savoir qui peut travailler un peu sur mon projet.
Qu’est-ce que l’on te répond ? Pas le temps !
Comment vis-tu cela ? Pas bien du tout !
Pourquoi ? Je passe mon temps à courir partout pour avoir des ressources à affecter aux activités du projet. Je prends conscience que je suis chef de projet sans aucune autorité.
Je ne passe pas assez de temps à gérer mon projet. Le projet prend de plus en plus de retard. Je suis fortement stressée par cette situation car je ne suis pas en mesure de respecter les objectifs du projet."
Cette stagiaire est chef de projet dans une organisation dont la structure est dite « fonctionnelle » ou « en silo ». Elle fonctionne en mode transverse en utilisant des ressources qui appartiennent à d’autres silos que le sien.
Et, elle n’a aucune autorité pour allouer et affecter en temps et en heure les ressources dont a besoin son projet.
Conséquence : son projet ne tient pas ses objectifs et elle est stressée.
Dans cet article, j’analyse l’autorité du chef de projet en fonction des structures organisationnelles des entreprises (leurs organigrammes) :
- Je montre d’abord qu’il existe un paradoxe entre la méthodologie de gestion de projet et la réalité des projets dans les organisations concernant l’autorité du chef de projet.
- Je propose ensuite de résoudre ce paradoxe en analysant comment le type de management hiérarchique influence l’autorité en fonction des structures organisationnelles.
- J’introduirai enfin le management par exception comme méthode de gestion pour augmenter l’autorité du chef de projet lorsque le management hiérarchique est transverse dans les organisations fonctionnelles et matricielles faibles et équilibrées.
Quelle autorité possède le chef de projet en fonction des structures organisationnelles ?
Le Project Management Institute® traite de l’autorité du chef de projet avec la charte de projet et les différentes structures organisationnelles.
La charte de projet émise par l’initiateur du projet ou par le sponsor autorise formellement l’existence du projet et donne l’autorité au chef de projet pour allouer des ressources de l’organisation aux activités du projet (Guide du corpus des connaissances en gestion de projet (2017), p. 81).
Ecrit comme cela, le chef de projet a toute l’autorité dont il a besoin.
Mais, PMI® met en perspective l’autorité en fonction des structures organisationnelles.
Trois types d’organisations sont définies :
- Fonctionnelles ou en silo
- Matricielle (qui inclut l’organisation matricielle faible, équilibrée et forte)
- Par projet
Le degré d’autorité fait référence à l’autorité du chef de projet par rapport à celle du responsable fonctionnel vis-à-vis du projet et de l’équipe projet.
L’autorité repose sur 5 critères :
- La loyauté du membre de l’équipe,
- Le supérieur hiérarchique du membre de l’équipe,
- Le rôle du chef de projet,
- Le rôle du membre de l’équipe,
- Le contrôle du chef de projet sur les membres de l’équipe.
Le tableau ci-dessous fixe le cadre général :
En l’analysant, une conclusion émerge...
Pour avoir une autorité maximale, il vaut mieux être chef de projet dans une organisation par projet que dans une organisation fonctionnelle.
Dans la réalité, et même si on ne dispose pas de statistiques officielles sur les types de structures organisationnelles, beaucoup d’entreprises fonctionnent avec un organigramme fonctionnel ou matriciel.
Un paradoxe apparait entre la méthodologie de gestion de projet et la réalité des projets dans les organisations.
Le chef de projet est nommé pour avoir de l’autorité sur les ressources.
Mais, s’il travaille dans une organisation fonctionnelle ou matricielle, il n’en n’a pas ou peu.
Comment résoudre ce paradoxe méthodologique et managérial pour que le chef de projet ait plus d’autorité ?
En associant dans un premier temps l’autorité et les structures organisationnelles projet avec le type de management hiérarchique.
Et, dans un second temps, en utilisant le management par exception.
Comment le management hiérarchique modifie-t-il l’autorité en fonction des structures organisationnelles ?
Nous allons découvrir ceci par rapport au mangement hiérarchique vertical et horizontal :
1) Le management hiérarchique vertical
Le management hiérarchique vertical correspond à la situation où le responsable fonctionnel est le supérieur hiérarchique à 100% du chef de projet et des membres de l’équipe.
1.1) Les organisations fonctionnelles, matricielles faibles et équilibrées
Ces organisations peuvent avoir des chefs de projet avec une autorité sur les ressources, à condition que les projets soient gérés à l’intérieur de leur silo.
Le responsable fonctionnel gère son entité avec un management hiérarchique vertical (voir trait en pointillé dans le schéma 1 ci-après) :
Il alloue les ressources au projet et le cas échéant, il fait des arbitrages avec le chef de projet sur le niveau de compétences, le nombre de ressources ou d’autres sujets.
Il n’y a aucun conflit de loyauté des membres de l’équipe envers leur responsable fonctionnel et leur chef de projet.
1.2) Les organisations par projet
Ces organisations fonctionnent par principe avec un management hiérarchique vertical (voir flèche en pointillé dans le schéma suivant) :
L’organisation se compose des projets et de services « support » dont la responsabilité consiste à mettre à disposition du projet les ressources en quantité et en temps opportun.
Le chef de projet est le seul à avoir de l’autorité et les membres de l’équipe projet lui rapportent hiérarchiquement à 100%, pendant le temps qu’ils seront affectés au projet.
2) Le management hiérarchique horizontal
Le management hiérarchique horizontal est très courant dans les organisations.
Il correspond à la situation où un projet utilise des ressources en transverse des entités fonctionnelles.
2.1) Les organisations fonctionnelles
Vous êtes nommé chef de projet mais vous n’apparaissez pas dans l’organigramme.
Vous êtes comme un membre de l’équipe :
Lorsque vous voudrez allouer des ressources sur vos activités, vous demanderez aux personnes des autres entités fonctionnelles de venir.
Mais elles vous répondront que leur responsable hiérarchique fonctionnel leur a donné du travail et qu’elles ne sont pas disponibles.
Pour les obtenir, il faudra voir votre responsable fonctionnel et lui demander de parler à ses homologues.
La coordination se fait à leur niveau (voir le cadre en pointillé dans le schéma ci-dessus).
Admettons qu’il discute avec ses homologues.
Pensez-vous qu’ils lui donneront les ressources dont vous avez besoin ?
Très probablement pas ou lorsqu’ils auront atteint leurs objectifs.
Les responsables fonctionnels ont des objectifs fixés par le Président Directeur Général.
Ils ont besoin de toutes leurs ressources.
Votre projet ne les intéresse pas. Il peut aussi y avoir des rivalités ou de la concurrence entre eux.
Si c’est le cas, votre projet devient une source de conflits.
"C’est la situation de ma stagiaire. Je l’ai vécu aussi et c’est pénible. Nous avions besoin sur un projet d’un expert d’une autre entité que la nôtre. Le Directeur Général a donné son accord, mais au dernier moment il a changé d’avis.
Le chef de projet qui attendait cette ressource ne nous a pas dit que cet expert n’arrivait pas sur son projet.
Nous l’avons découvert lors du comité de pilotage mensuel. Nous avons constaté un retard. Il a fallu faire une réunion avec les deux directeurs généraux pour trouver une solution.
Finalement, il y a eu un conflit ouvert à leur niveau, et il y en a eu un entre le chef de projet et l’expert. Vous imaginez la cohésion de l’équipe avec l’échelle de Tuckman quand l’expert arrive sur le projet."
2.2) Les organisations matricielles faibles
Le chef de projet est nommé et n’apparait toujours pas dans l’organigramme.
Mais les responsables fonctionnels lui ont transféré ainsi qu’aux membres de l’équipe, le soin de se coordonner pour exécuter le projet (voir le cadre en pointillé dans le schéma suivant) :
Que devient la coordination ?
Les membres de l’équipe ont du temps à consacrer au projet et le chef de projet a eu de bonnes relations de travail sur d’autres projets dans le passé.
Ils vont venir. S’ils n’ont pas de temps disponible, ils ne viendront pas.
Et cette situation est quelque part plus complexe que celle de l’organisation fonctionnelle.
Le chef de projet ne pourra pas demander à son responsable fonctionnel de discuter avec ses homologues, puisque la coordination a été transférée.
Il n’écoutera rien !
Cependant, si le projet prend du retard, la responsabilité incombera en totalité au chef de projet.
Les membres de l’équipe auront bon jeu de dire qu’ils n’avaient pas le temps.
2.3) L‘organisation matricielle équilibrée
Le chef de projet apparait dans l’organigramme.
Il peut alors utiliser la charte de projet comme « faire valoir » (voir le cadre en pointillé dans le schéma suivant) :
Son autorité apparait plus forte sans pour autant garantir qu’elle lui serve vraiment pour avancer sur le projet.
Les compétences interpersonnelles du chef de projet deviennent déterminantes dans les discussions avec les responsables fonctionnels et les membres de l’équipe.
"J’ai rencontré cette situation et j’ai obtenu les ressources.
J’ai expliqué aux parties prenantes quels étaient les objectifs du projet et en quoi il allait impacter la stratégie de l’organisation.
Par défaut, j’ai expliqué que si on n’atteignait pas les objectifs, nous en serions tous responsables.
J’ai utilisé la technique des six niveaux logiques de Robert Dilts, un des pères fondateurs de la programmation neurolinguistique.
J’ai considéré que le projet était source de conflits potentiels. Pour les résoudre, je ne pouvais pas le faire au niveau du projet mais à un niveau supérieur ; à savoir les attentes du Président Directeur Général et de la stratégie qu’il avait décidé."
Dans le podcast qui suit, on vous explique comment un chef de projet peut adopter une approche de coaching et de "servant leadership" pour aider les équipes à atteindre leurs objectifs et désamorcer les conflits constructivement :
2.4) L’organisation matricielle forte
Cette structure organisationnelle associe l’organisation fonctionnelle avec l’organisation par projet.
"J’ai travaillé plusieurs années dans cette structure. Elle présente de nombreux avantages."
L’autorité du chef de projet est forte.
Il n’y a pas de conflits entre les responsables fonctionnels et le directeur des projets.
Les ressources ont un double rattachement hiérarchique à la fois vertical et horizontal (flèches verticales et cadre en pointillé dans le schéma suivant) :
Pour qu’elle soit vraiment efficace, il convient de définir le temps de travail que les membres de l’équipe passent avec leur responsable fonctionnel et le chef de projet.
"Pour le déploiement mondial d’un bureau des projets (dit aussi « PMO »), nous avions besoin d’un responsable dans chacun des 34 sites pour déployer les procédures de gestion de projet.
La première année nous nous sommes dit que le bon vouloir suffirait pour réaliser ce travail. Mais à la fin de l’année, rien n’avait été fait.
Au début de l’année suivante, nous avons instauré le principe de 70 / 30 en accord avec les responsables fonctionnels et la direction des ressources humaines.
Ces personnes partageraient le temps de travail à hauteur de 70% avec leur responsable fonctionnel et 30% avec le chef de projet.
Cette répartition du temps de travail était notifiée dans les évaluations semestrielles de chacune de ces personnes."
Dans quels cas utiliser le management par exception pour renforcer l’autorité du chef de projet
Les deux sections précédentes montrent que l’autorité du chef de projet reste nulle ou faible lorsque le management hiérarchique est transverse dans les organisations fonctionnelles et matricielles faibles et équilibrées.
Introduire le management par exception, permet d’augmenter cette autorité dans ces contextes spécifiques.
Le management par exception se focalise sur l’identification et la gestion de situations qui dévient d’une norme ou d’un cadre donné.
La gestion de projet fait du management par exception, lorsque la technique des limites de contrôle est utilisée en gestion de la qualité.
On définit des limites de contrôle supérieures et inférieures de + ou – 10% pour suivre les délais par exemple.
Tant que les dérapages de délai restent dans les limites de contrôle, le chef de projet les gère.
En revanche, si les dérapages sont en dehors des limites, une action du management est requise.
La norme consiste à donner une autorité réelle à un chef de projet.
Si un projet est géré en mode transverse dans une organisation fonctionnelle ou matricielle faible ou équilibrée, alors le management devrait prendre une décision.
Dans ce cas précis, le management peut décider d’extraire les ressources et le chef de projet des entités fonctionnelles et de faire du projet une entité propre.
C’est ce que l’on appelle faire une « spin-off » comme le montre le schéma suivant :
L’organisation est alors appelée « organisation composite ».
"Pour des projets stratégiques, j’ai souvent recommandé cette solution organisationnelle."
Le projet ne modifie pas le fonctionnement hiérarchique de l’organisation.
Il n’y a aucun conflit entre les responsables fonctionnels.
Le chef de projet possède une autorité complète au sens des 5 critères décrits précédemment. Les membres de l’équipe n’ont aucun conflit de loyauté.
Réflexions et conclusion
Depuis 2021, le Project Management Institute® a modifié son approche de la gestion de projet.
La compréhension de l’environnement de l’organisation, fait maintenant partie du Guide du corpus des connaissances en gestion de projet (PMBOK®) et 8% des questions à la certification PMP® ont trait à ce sujet.
Quel sens cela a-t-il pour vous dans votre quotidien ?
Il y a de nombreuses raisons pour accepter la fonction de chef de projet. Mais cet article montre que la nomination à cette fonction ne garantit pas une autorité équivalente.
Si vous n’avez pas cette autorité, vous allez probablement vivre ce que vivait ma stagiaire. C’est peut-être déjà la situation que vous rencontrez actuellement.
Donc, la prochaine fois, avant d’accepter la responsabilité d’un projet, analysez la structure organisationnelle dans laquelle le projet sera exécuté.
Si vous constatez qu’il faut gérer le projet avec du management par exception, discutez-en avec le management. Comme vous, il a tout intérêt à ce que les projets réussissent. Le management aura une écoute active.
Si le management ne prend pas la décision de faire du projet une entité propre à côté de l’organisation, demandez-vous si vous acceptez de devenir chef de projet.
Si le management prend la décision de faire du projet une entité propre, il aura pris une décision importante. Le management mettra l’organisation au service du projet et de sa réussite.
Merci pour votre information sur la gestion de projet qui nous aide à développer notre connaissance et savoir-faire.
Avec plaisir Rodolphe !